Organiser, ramer, livrer…

Se lancer dans l’organisation d’un événement sportif international est un marathon qui débouche sur un sprint. Ce sont des heures de travail, de réflexion, d’action, de doute avec une seule obsession: serons-nous prêts?
Il règne dans cette association hétéroclite d’hommes et de femmes unis par la seule volonté de faire sortir de terre ce spectacle éphémère un enthousiasme juvénile qui permet de soulever les montagnes. Que ce soit une parenthèse dans une existence plus paisible ou une expérience qui succède à une autre, tous se lancent sans calculer dans ce qui, une fois la fête finie, ne sera plus qu’un délicieux souvenir. Chacun repart ensuite dans la vraie vie… On reste amis, on se perd de vue, on se croise.. toujours liés par la fierté du travail accompli et les anecdotes qui font l’histoire des plus grands projets.
Le compte à rebours qui nous sépare du coup d’envoi officiel des Championnats du Monde d’aviron d’Aiguebelette s’affole. On a calculé en année, en mois, en jours et désormais, il n’y a plus que quelques heures à attendre… Et dans neuf jours, tout sera terminé…
Aujourd’hui, le lac, ce petit joyau posé à flanc de montagne, inondé d’un soleil indécent, déclinait toute la palette des couleurs les plus tendres pour faire de l’œil au meilleurs rameurs du monde… Sur la berge, les petits hommes verts de l’organisation s’activaient pour que chaque détail soit huilé… « Il faut livrer… » Trois mots qui prononcés par le gérant de Pizza 30 seraient anodins mais qui, dits par Jean-Claude Killy, maître à penser et à agir de quelques uns d’entre nous, sonnent comme la ligne directrice de toute compétition…. Livrer… dans la douceur ou la douleur avec comme impérieuse nécessité d’offrir aux athlètes et aux spectateurs le meilleur de nous même…
L’aviron, sport originel de l’olympisme, mérite une « belle livraison »… Le geste est pur et la mission de chaque bateau d’une totale évidence… Seul, à deux, à quatre ou à huit, il suffit de trouver la meilleure combinaison pour aller le plus vire possible d’un point à un autre…. Regarder filer une embarcation dans la brume du soleil levant est un instant merveilleux.
Pourtant, l’aviron est un sport injuste pour ceux qui font du 46 et ont l’abdo minable… Le parc à bateaux ressemble un peu au monde idéal de Ken et Barbie où se croisent des éphèbes musclés et des jeunes filles élancées…
Heureusement, il y a Manu… Manu est mon pote depuis 23 ans… Ce soir, après une pomme et un verre d’eau, il pesait 58 kilos mais il partage des rêves de victoires avec les baraqués du huit français…
Manu est barreur… Un drôle de petit bonhomme, attachant et mystérieux, capable à la fois de ne se soucier de rien et de mettre au diapason le plus beau des bateaux… Son histoire est belle car il a choisi de prendre en main son destin pour remonter dans la flotte bleu blanc rouge plus de vingt ans après sa dernière sélection… Alors, bien sûr, il n’est que barreur… Le petit qu’on fout à la flotte quand on monte sur le podium… Sa mission, pourtant, est capitale et les huit costauds comptent sur lui autant qu’il compte sur eux…
Au bout de la longue ligne d’eau, il y a des rêves, des envies, une qualification pour Rio… Mieux, peut être…
Aller au bout d’un songe d’adolescent, d’une histoire d’homme… Pour lui, pour sa famille… Pour tant de choses enfouis au plus profond de son âme et finalement pour presque rien…
2 000 mètres à avaler sur un lac vert émeraude. Juste pour livrer…